Marc Henry, Grand Maître de la Grande Loge de France (GLDF), fait régulièrement face aux accusations conspirationnistes qui planent sur la franc-maçonnerie, du complot judéo-maçonnique au financement de Daesh. C’est dans ce contexte de crise post-Charlie que l’ancien psychologue et journaliste a accepté de répondre, en marge de la conférence qu’il a donnée jeudi 23 avril pendant la Nuit de l’Amitié, aux questions qui agitent notre société d’aujourd’hui et de demain.
Dans une interview récente, vous avez affirmé « qu’il se passe aujourd’hui des choses qu’on n’a pas vues depuis les années 40 ». De quoi parliez-vous ?
Je parle de l’antisémitisme et de l’anti-maçonnisme. Nous avons récemment reçu la garde des Sceaux Christiane Taubira et nous avons eu le droit à des tags qui disaient « non à la république maçon…nique ».
Une étude qui vient d’être publiée révèle que les entreprises font face à une hausse des revendications religieuses de la part de leurs salariés et des cas conflictuels, même s’ils restent minoritaires. Comment réagir ?
Le Grand Orient de France (ndlr : obédience maçonnique) pourrait avoir des pistes de réponse sur la question des ports des signes religieux. C’est une question compliquée, chacun pourrait demander que sa religion soit prise en compte, mais à l’arrivée, comment fonctionnent les entreprises ? Ce sont des questions difficiles à gérer dans un pays qui a une histoire dont les pratiques ne sont pas toujours celles qui sont revendiquées.
Au Conseil économique, social et environnemental, j’ai exprimé la réflexion suivante, je ne parle donc qu’en mon nom : « Il faudrait interroger pourquoi certaines personnes ont le besoin de montrer des signes extérieurs de richesse intérieur ».
Qu’est-ce que la laïcité aujourd’hui ?
La laïcité, c’est la séparation de la religion et de l’Etat. La question est : où se trouve la limite ? Prenons l’exemple du voile à l’université. A la Grande Loge, nous observons, nous ne prenons pas parti. D’un coté, l’université pourrait être sanctuarisée, comme l’école, car elle représente le lieu de tous les savoirs où on ne devrait pas arriver avec ses croyances. Mais, d’un autre coté, nous parlons d’étudiants majeurs, qui peuvent réfléchir, penser et donc décider.
J’attends les remontées de divers travaux franc-maçonniques sur la question de la laïcité et peut-être ferons nous un recueil de réflexions, que nous pourrons transmettre aux politiques ou à qui voudra bien les prendre.
Comment expliquer la radicalisation de certains jeunes et la montée des extrémismes ?
Il y a plusieurs raisons à la montée des extrémismes. Notre société européenne n’a plus d’idéal, elle ne met plus en avant que l’argent et le marché et certains jeunes ne se retrouvent pas là-dedans. Le chômage fait sûrement partie de la réponse. La question ce n’est pas « pourquoi » mais « comment » nous en sommes arrivés là. Il y aura toujours des individus qui n’auront pas eu la chance d’avoir un environnement positif et qui auront été poussés dans la radicalisation. Ce sont des victimes aussi.
Dans cette société de l’avoir, dans cette société de consommation, on a perdu l’idéal. Dans les années 40, la construction de l’Europe, c’était un idéal, après la guerre et le nazisme dont on ne voulait plus. Aujourd’hui, les jeunes ont une monnaie unique, il n’y a plus de frontières, ils ne savent pas ce que ça a été. Alors, on fait des enfants, on se marie, mais qu’est-ce qui nous pousse ? Où est l’idéal ? Même s’il est utopique.
Comment éviter les amalgames ?
Par la connaissance de la religion de l’autre. A la Grande Loge, nous acceptons toutes les croyances. J’ai été élevé dans la foi chrétienne, mais j’ai lu le Coran, dans des versions différentes. Nous pouvons retrouver des valeurs communes dans toutes les sagesses du monde : de l’amour et non de la haine.
Sur ces questions, nous avons rencontré l’Observatoire de la laïcité et le Conseil économique, social et environnemental. Éventuellement, nous les recevons aussi, mais pas pour revendiquer, pour échanger.
Comment se comprendre lorsque parfois nous n’avons rien en commun ?
Nous avons tous une chose en commun : notre origine. Nous sommes tous des humains. L’histoire de race n’existe plus, elle n’a pas de sens et nous devrions trouver d’autres mots. Nous avons une mission à accomplir ensemble, pas pour nous, mais pour les enfants et les générations à venir.