L’émotion était palpable dans l’Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg lorsque Gilles Winckler, président de la Licra Bas-Rhin, a prononcé quelques mots d’accueil, dans un contexte marqué par les attentats qui avaient frappé la France la semaine précédent le spectacle.
Mesdames, Messieurs,
Je vous lis ce soir les quelques mots de bienvenue que j’avais commencé à rédiger avant le triple attentat qui a frappé notre République en son coeur la semaine dernière, et que j’ai repris depuis, suite à l’actualité cauchemardesque que nous avons traversée ensemble.
Pourtant, son contenu, en particulier le fond du message que je souhaite vous adresser ce soir, n’a pas varié.
Ce message, c’est celui de la Licra, et c’est celui que Pierre Fatus et moi avons porté inlassablement tout au long de la campagne médiatique que nous avons menée ensemble, et qui s’est clôturée quelques heures seulement avant la tuerie de Charlie Hebdo.
Quelques heures seulement avant que nos grands frères de Charlie, ces héros, dessinateurs talentueux et engagés, juste avant que ces résistants modernes soient assassinés, Pierre et moi répétions dans les journaux locaux, et sur toutes les antennes, qu’il fallait protéger la liberté d’expression comme la prunelle de nos yeux, que l’impertinence et la transgression par le rire étaient nécessaires à nos démocraties, car il s’agissait d’un contrepouvoir, non seulement fédérateur, mais également puissant pour faire reculer la bêtise et l’obscurantisme.Plusieurs mois avant ces attentats, nous nous alarmions déjà de la terrifiante progression du nombre d’actes antisémites. Aujourd’hui des fanatiques, des militants politiques, de prétendus intellectuels, et d’anciens humoristes illuminés désignent le Juif comme coupable de tous nos maux, alors que nos frères Juifs n’ont commis qu’un seul crime… celui d’être nés.
Et pour cette seule raison, parce qu’ils sont simplement nés, tels qu’ils étaient… des fous ont à nouveau condamné à mort quatre innocents, vendredi dernier, à Vincennes.
L’antisémitisme n’est pas l’affaire des Juifs. C’est un poison atroce qui nous menace tous, autant que nous sommes, et qui doit horrifier et révolter chacun d’entre nous, quelles que soient notre origine culturelle, et notre appartenance ou notre non-appartenance religieuse.
Il en est de même pour l’islamophobie, elle aussi en forte progression, et que l’amalgame coupable que certains font entre Islam et islamisme, risque d’alimenter encore.
Chaque fois qu’un de nos amis musulmans est agressé, chaque fois qu’une mosquée est profanée, c’est Marianne, c’est notre République toute entière, qui est blessée !
Et c’est chacun de nous qui doit se lever, et crier que nous ne l’accepterons pas !Ce sursaut républicain, j’en ressentais quelques premiers frémissements déjà, quand de nouveaux militants et sympathisants, très nombreux, sont venus nous aider à organiser bénévolement le spectacle de ce soir. J’en profite pour les saluer et les remercier de l’extraordinaire travail effectué.
Surtout, le monde entier a eu la démonstration spectaculaire, dimanche dernier, que le peuple français était capable de se rassembler dans l’adversité.
Ce sursaut, cet élan magnifique, devra se transformer en actions concrètes. Pour ne pas reproduire les mêmes erreurs qu’en 2002, lorsque nous avions été prompts à descendre massivement dans la rue, pour faire barrage au Front National, mais que nous nous étions avérés, au final, incapables de rester unis, et de freiner efficacement sa progression dans les années qui suivirent.
L’indignation ne suffira donc pas. Nous devons nous protéger des terroristes. Mais le traitement des symptômes ne suffira pas, il faut également s’attaquer aux causes. Les auteurs de ces attentats étaient aussi nos concitoyens, et nous n’avons pas su les protéger de la radicalisation et du passage à l’acte.
Nous devons nous protéger, nous, de la violence physique, mais protéger aussi notre jeunesse de la violence sociale et du désespoir, qui les précipitent trop souvent dans les bras de gourous manipulateurs, et d’extrémistes religieux.
Il faut, plus que jamais, soutenir tous les militants associatifs, éducateurs, enseignants, qui mènent ce combat depuis de nombreuses années.
Nous aurons besoin d’un Etat fort, et d’une société civile forte, pour affronter les dangers qui se présentent devant nous.
Nos forces de l’ordre, je ne les oublie pas, et je pense à elles ce soir, tant elles ont été compétentes et héroïques, tant elles souffrent de la perte de trois des leurs, lâchement abattus. Nos forces de l’ordre, ainsi que notre armée, mais aussi notre justice et nos écoles, devront avoir les moyens humains et financiers de se renforcer. C’est impératif.
Les associations antiracistes doivent également être largement soutenues, en particulier dans leur action éducative en direction de la jeunesse, et dans leur travail visant à éradiquer le discours de haine sur Internet, qui nous empoisonne la vie, qui fait les ravages que vous connaissez, et face auquel nous sommes à l’heure actuelle démunis, notamment sur le plan législatif – ce sera le thème d’un colloque de trois jours en mai, organisé par la Licra et le Conseil de l’Europe.
Mes frères, mes sœurs, mes amis, soyons fiers d’appartenir à un peuple debout.
Soyons fiers d’appartenir à un peuple uni et libre, le peuple de France.
Nous avons gravé sur nos édifices, cette devise qui nous est chère : « Liberté – Égalité – Fraternité », et nous ne l’effacerons pas !
Rien, ni la violence, ni la haine, ni les armes, ne pourront l’effacer, car nous l’avons proclamée, à jamais, comme universelle.
La liberté vaincra, l’amour fraternel vaincra, car l’amour est plus fort que la mort !
Ce soir, mes amis, rions ! Rions, comme si nous étions éternels, et aimons-nous, comme si nous allions mourir demain.Que vive la République, et que vive la France !