- Pourquoi la guerre des clowns est déclarée ?…
Quand j’étais au théâtre du Soleil, sous la direction d’Ariane Mnouchkine, j’ai joué dans Méphisto de Klaus Man, une pièce sur le comportement des artistes durant la montée du nazisme… Aujourd’hui ma route d’artiste, d’amuseur public semble vouloir ne pas être amnésique.
Comme tout le monde un temps sidéré, je n’accepte plus de rester passif face au délitement orchestré du lien social de mon pays ; comme fasciné par cette montée de la peur, inerte devant l’imposition progressive de formes de pensées dangereuses et mortifères. Je ne veux pas être muet face à cet empoisonnement soi disant inéluctable de la culture et du bel imaginaire de mon pays.
Je suis un artiste, j’ai le privilège d’avoir accès à un micro, et de faire rire des publics de toutes catégories. Mon langage est universel, et c’est le cœur de l’homme universel que je veux toucher ici.
- Quelle est votre façon de travailler ?…
Qu’elles soient nationales ou artistiques, je n’aime pas les frontières. Je suis un artiste sans frontière, un show man passé par le cirque, le théâtre, la boxe, le jazz, le mime… Dans mes spectacles, je mêle tous ces langages, comme un Esperanto visuel.
Ma précédente création, Clownpower, était intégralement muette, 1h15 de burlesque. Grâce à ce langage universel, j’ai pu voyager dans le monde entier, accéder à des publics et des cultures différentes sans être un touriste. Aujourd’hui, avec le thème central du racisme et de l’intolérance, la parole directe, frontale, m’est apparue incontournable. C’est un One Man Show politique et poétique, dans la tonalité du « stand up », auquel j’intègre des numéros de cirque, de musique, en métaphore de mes propos, ou comme un pied de nez au négativisme entretenu.
- Est-ce le rôle des clowns de se mêler de politique ?…
Et les financiers, les politiques, les religieux, quand est-ce qu’ils arrêtent leur cirque ?…
Je suis un descendant des bouffons, un petit frère de Coluche, un clown qui flippe aussi…
Comment faire rire quand la Shoah fait rire ?… Au delà du divertissement, j’ai voulu créer un outil culturel et politique, un One Man Show qui contrecarre de façon drôle et percutante les mensonges extrémistes ; un spectacle populaire conçu comme une alerte démocratie, une sorte d’ambassade comique, humaniste et antiraciste, exportable dans un maximum de villes.
- Pourquoi avec la Licra ?…
Pourquoi pas ?…
Parce qu’ils défendent le bien vivre ensemble et agissent concrètement contre les dérapages racistes. Je garde mon entière liberté d’expression. Je ne suis pas un produit LICRA, je reste un artiste libre. J’entends parfois des querelles de chapelles qui ne m’intéressent pas. Mon travail se situe au dessus des chapelles. On a mis les Chrétiens dans l’arène, les Africains en esclavage, rayé les Indiens de la carte, les Juifs et les Tziganes dans les chambres à gaz, génocidé les Arméniens, les Khmers, les Rwandais… La valse macabre des souffrances et des oppressions humaines est universelle. Il n’y a pas de box office des souffrances.
- On reproche souvent à la LICRA de différencier racisme et antisémitisme…
Chaque communauté a le droit légitime de se défendre contre les négations de ses blessures passées, comme des attaques spécifiques contre sa différence. N’y aurait il pas là encore, l’air de rien, un soupçon antisémite pour juger étrange qu’au delà du combat antiraciste global, la communauté juive se défende plus particulièrement contre l’antisémitisme ?…
Qu’une association noire, de défense contre le racisme, s’occupe plus particulièrement de la négrophobie, je ne trouverais pas cela curieux et je pourrais l’aider tout autant.
Quand la maison brûle, il faut se méfier du piège de la division par l’ergotage qui arrange bien les pyromanes…
- Qui cible votre humour ?…
Dans ce spectacle je n’attaque pas les communautés ou les personnes, mais les hermétismes, les mauvaises fois… Qu’il soit juif, chrétien, musulman, masculin, féminin, blanc, jaune, noir, gay, bi, quand l’homo sapiens est con, il est con, sans discrimination.
- Quel est votre plan de carrière?…
Ma carrière, c’est ma conscience.
Mon évolution personnelle et mes créations sont intimement liées.
Mon métier, c’est d’abord une attitude. Le reste suit.
- Êtes-vous de gauche ou de droite?…
Je réclame l’asile poétique !
Aujourd’hui la différence se situe entre démocrates et non-démocrates. La difficulté étant que les non-démocrates avancent masqués dans l’éternelle tradition des extrêmes qui convoitent le pouvoir.
- Ce n’est pas un peu triste comme propos pour un humoriste ?…
Ce qui est triste, c’est de voir la manipulation des foules hébétées qui s’engouffrent dans n’importe quelle déprime comme des moutons de Panurge. Aujourd’hui la paix sociale est menacée…
Par les mass médias, les discours, chacun est quotidiennement incité à désigner l’autre comme coupable, on invite les esclaves à devenir des bourreaux, et les égorgeurs de Marianne crient à l’assassin. On cherche à diviser les victimes d’une aberration collective pour perpétuer le profit des manipulateurs. La frustration devient l’ordre nouveau… Moi, je suis clown, et je mets les pieds dans le plat.
- Vous n’allez pas vous faire des amis…
Le seul ennemi, l’ennemi commun, c’est le réchauffement climatique.
- On est loin du comique…
Au contraire, on est en plein dedans. Ce spectacle est un pied de nez, une parole insolente et libre. Une forme de résistance par la joie. Non pas une joie mièvre et télé consensuelle, mais une danse d’esclave qui se lève, un éclat de rire sorcier !
- C’est quoi un humoriste ?
Faire rire avec mes petits problèmes de consommateur, ma belle mère, ou les histoires de cul du président, ne m’intéresse pas. La guerre des clowns est déclarée, c’est aussi ma colère de clown citoyen, d’humoriste, qui s’interroge sur le sens actuel de son métier… A quoi, et à qui sert cette figure aujourd’hui aussi puissante qu’un politique dans l’espace médiatique ?
- Quel est votre personnage ?…
Le clown que vous voyez dans la glace chaque matin avant d’aller plonger dans la nasse aux requins… J’incarne le fou, l’idiot, celui qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
Je suis le porte voix du citoyen lambda, déprimé entre la langue de bois de l’establishment et les programmes suicidaires de l’extrême droite.
« Entre deux solutions, choisis toujours la troisième…»… Mon personnage incarne l’alternative.
Car contrairement aux prévisions des rapaces, il n’y a aucune fatalité. Une troisième voie existe, espérée sourdement par beaucoup. Et j’ai la prétention de venir exprimer haut et fort ce désir, dans un pied de nez.
- Croyez-vous en dieu?…
Dieu existe-elle ?…
Oui. J’en ai encore eu la révélation hier, dans les bras de ma femme… Par contre, devant ma télé, je reste encore dubitatif sur la question… Je trouve inquiétant d’aborder Dieu comme on rentre dans un parti.
Aujourd’hui, plus personne n’a la foi, tout le monde a les foies. Moi je n’ai rien contre les prophètes, j’en veux juste à tous ceux qui leur piquent leurs droits d’auteurs…
Enfant, j’ai mis les deux doigts dans la prise en voulant allumer la crèche, et dans un éclair j’ai entendu : « Pierre, lève-toi, et fais-les marrer… ». Aujourd’hui, je suis un clown illuminé, 7ème dan de théologie. Je n’oppose pas l’humour et le sens du sacré. Je suis un prêcheur d’un genre nouveau. Dans mon église, on éclate de rire.
- Alors, finalement, pourquoi ce spectacle ?…
Pour mes filles.
J’étouffe, de tout ce cloisonnement phobique de la société.
Un corps où les énergies ne circulent pas tombe malade. Il en va de même pour notre monde.
Je n’accepte pas cette division programmée, cette rupture organisée du lien fondamental, cette disparition stratégique du contact humain, que l’on nous impose progressivement.
On n’aborde jamais la question du formidable gâchis énergétique, financier et humain, englouti dans l’économie sécuritaire ?… Combien de milliards dépensés dans cette économie stérile du blindage, de la surveillance, du traitement judiciaire et du rejet de l’autre ?…
Qui peut encore vouloir nous faire croire que contrarier la circulation naturelle des énergies et des ressources humaines de la planète, est une vision économique et politique d’avenir ?
Est-on si sûr que la joie de vivre et la fraternité ne sont pas des facteurs de rentabilité ?…
Nous avons atteint l’apogée de la cupidité, la civilisation régresse. Plus un espace qui ne soit corrompu par le marchandage. Je suffoque de vivre dans un supermarché.
Peut-on encore longtemps ignorer la déprime et la solitude croissante dans les villes occidentales, comme étrangement symétriques à la mise en esclavage du tiers monde pour notre hystérie consumériste ?…
Il n’y a pas de problème d’immigration, il y a un problème de partage des richesses.
Un problème de vision de l’autre. Dans mon spectacle, je m’insurge contre cette conception fataliste du monde coincé entre la dictature du commerce et celle de la sécurité, cette tricherie validée entre riches, cette peur de l’autre érigée en programme par des tribuns manipulateurs ou sans imagination. L’aide humanitaire n’est pas forcément dans le sens que l’on croit…
Le nouveau monde est à inventer. Et moi le clown pouêt pouêt tralala, j’ai l’audace de penser que ce n’est pas de l’idéalisme, mais une réalité très concrète, faite de spectacles, et aussi de rendez-vous électoraux…