Mois de l’Autre 2014 : Reportage sur les interventions en milieu scolaire de la Licra Bas-Rhin

Pendant le Mois de l’Autre, initiative de la Région Alsace, la Licra Bas-Rhin est sollicitée par des lycées pour y animer des rencontres-débats.

Deux militants bénévoles de la Licra Bas-Rhin se présentent devant 27 élèves de seconde, en présence du professeur documentaliste du lycée et de deux enseignants. Après un brève présentation de la Licra et de ses combats, les élèves sont interrogés sur le sens qu’ils donnent à différents termes.

« Qu’est-ce qu’une discrimination ?
– Quand on met quelqu’un à l’écart soit pour son physique, soit pour sa religion.
– Lors d’un entretien d’embauche, ça arrive aussi, ajoute une élève.
– Il y aussi parfois des problèmes avec les vigiles dans les grands magasins, souligne un autre. »

Un autre élève fait remarquer qu’il existe aussi des discriminations envers les femmes.

« Pourquoi les insultes racistes dégénèrent-elles souvent en bagarre ?
– On n’a pas à s’expliquer sur nos origines, on ne les choisit pas !
Avec le racisme, il n’y a pas de discussion possible. Très vite, on entre dans l’engrenage de la violence. ».

La discussion se poursuit à bâtons rompus. Les élèves posent des questions sur l’apartheid, évoquent le génocide arménien. Par contre, aucun élève ne semble avoir connaissance du génocide rwandais, dont le 20ème anniversaire est commémoré au moment de l’intervention. Les intervenants rappellent que 800.000 personnes ont été massacrées en seulement quelques semaines. Une élève ressent un malaise à l’évocation d’enfants tués à la machette, uniquement parce qu’ils étaient nés Tutsis.

« Savez-vous pourquoi le Mois de l’Autre a été mis en place par la Région Alsace ? »

Les élèves sont visiblement trop jeunes pour se souvenir des profanations de cimetières de 2004.

« S’attaquer à des tombes… c’est des trouillards ! », commente un élève.

« Qu’est-ce que vous entendez comme phrases racistes autour de vous ?
– ”Les Arabes sont des voleurs”.
– ”Sale Juif”.
– ”Sale bougnoule”.
– Souvent, les grands-parents sont un peu racistes, soupire un élève. »

« Dire que tous les Alsaciens sont racistes… est-ce raciste ?
– Bah non.
– Si.
– Mais non.
Il ne faut jamais faire de généralités. Dire ”les …. sont ….” c’est souvent le début du racisme. »

« Quelqu’un peut-il me donner une définition de l’antisémitisme ?
– C’est le racisme contre les Juifs.
À la base, qu’est-ce qu’on a reproché aux Juifs ?
– Judas a trahi Jésus.
Exactement. Certains le leur reprochent toujours. Vous ne trouvez pas ça incroyable ?
– Si, répondent plusieurs élèves. »

Un court sketch des Guignols de l’info, caricaturant Woody Allen est projeté et provoque l’hilarité des élèves.

« Tous les Juifs sont riches”, avez-vous déjà entendu ça ?
– Oui.
Ca vous fait penser à quoi ? Est-ce que vous connaissez l’histoire d’Ilan Halimi ?
– Non.
C’est l’histoire d’un jeune Juif kidnappé en 2006 contre rançon. Ses ravisseurs pensaient que, parce qu’il était Juif, alors forcément ses parents ou ses amis pourraient payer. Mais Ilan n’était pas riche. Finalement, il est mort de ses blessures. »

Plusieurs élèves réagissent. Visiblement, ils n’avaient jamais entendu parler du Gang des barbares et de l’affaire Ilan Halimi.

« D’où viennent ces clichés sur les Juifs et l’argent ? Au Moyen-Âge, les Juifs n’avaient pas le droit d’être paysans. Par contre ils ont été incités à travailler dans les métiers en rapport avec l’argent, contrairement aux Chrétiens qui considéraient ces métiers comme impurs. C’est pour ça, par la force des choses, que beaucoup de Juifs sont devenus commerçants ou banquiers. Mais au moment des grandes conquêtes en Amérique, la Couronne d’Espagne, qui avait emprunté énormément d’argent aux banques, a alimenté la haine des Juifs et les a chassés pour ne pas rembourser ses dettes. »

L’attention des élèves est attirée sur le fait que les ficelles du passé sont réutilisées aujourd’hui pour alimenter l’antisémitisme. Par exemple, le « Protocole des sages de Sion », faux document écrit il y a plus de 100 ans par la police du Tsar russe, pour faire croire à un plan de conquête du monde établi par les Juifs et les francs-maçons, est à nouveau diffusé sur le Net par des fanatiques.

« L’importation et l’instrumentalisation du conflit israëlo-palestinien est également un des ressorts de la recrudescence de l’antisémitisme. Mohammed Merah a tué des enfants parce qu’ils n’étaient pas de la bonne religion pour, soi-disant, venger les enfants palestiniens. Les autorités palestiniennes se sont bien entendu immédiatement désolidarisés de ces crimes. »

Le second intervenant rebondit:

« À la LICRA, il n’y a aucune hiérarchie entre racisme et antisémitisme. L’antisémitisme a une histoire très particulière, qu’il faut connaître pour ne pas se laisser manipuler, et nous le combattons avec la même énergie que toutes les autres formes de racismes. ».

« Dans les périodes de crise, on recherche toujours un bouc émissaire », ajoute le professeur documentaliste.

« Beaucoup d’élèves croient aux théories du complot diffusées sur Internet. Nous avons remarqué que certains élèves avaient parfois des doutes sur l’enseignement de l’éducation nationale. C’est bien d’avoir un esprit critique, mais il faut aussi l’exercer par rapport à ce que vous lisez sur Facebook ou Dailymotion. »

Le professeur documentaliste : « On ne peut pas toujours prouver qu’un acte est raciste. Il y a souvent des agissements insidieux.
Justement, ça me fait penser à un court métrage. Je vais vous le projeter. »

« Qu’est-ce qu’il se passe dans ce film ?
– Il y a de la discrimination, la mère est raciste.
C’est effectivement du racisme insidieux. Faut-il porter plainte ?
– Non, ça ne donnera pas grand chose.
– On voit bien dans ce film la souffrance de la victime…
Mais comme la voie judiciaire n’est pas possible, que peut-on faire ?
– Aller voir la mère et lui parler, propose un élève.
– Lorsqu’on est discriminé, il peut y avoir une tentation de repli sur soi. Pour éviter ce repli, nous devons faire l’effort de dialoguer, d’aller vers les autres, et de nous battre au quotidien pour faire vivre les valeurs de la République ”liberté, égalité, fraternité”. »

À quinze minutes de la fin, les intervenants demandent aux élèves de quels sujets ils voudraient encore discuter. Un élève suggère de parler de la traite négrière.

« Quelle est la motivation première de l’esclavage ?
– Avant, l’esclavage, c’était normal.
Effectivement l’esclavage existe depuis l’Antiquité et était surtout pratiqué en temps de guerre, lorsqu’on réduisait en esclavage les populations vaincues. La première motivation de l’esclavage est économique. Il a pris une ampleur considérable lors du commerce triangulaire avec l’Afrique et l’Amérique. C’est surtout à ce moment-là que l’on a utilisé des thèses racistes pour légitimer ce commerce, qui rapportait beaucoup d’argent aux négriers. Bien sûr, les esclavagistes étaient aussi souvent racistes. Mais, méfiez-vous, souvent on diffuse des idées racistes ou antisémites avant tout pour vous manipuler à des fins économiques ou politiques. »

« Savez-vous quel député a permis l’abolition de l’esclavage ?
– Non
L’esclavage avait été aboli une première fois suite à la Révolution Française mais rétabli sous Napoléon. Ce n’est qu’en 1848 que l’esclavage a été aboli pour de bon grâce à Victor Schoelcher, un Alsacien dont nous pouvons être très fiers. »

La sonnerie retentit et les élèves quittent la salle après avoir chaleureusement remercier les intervenants. S’ensuit un débrieffing autour d’un café entre les militants de la Licra Bas-Rhin et les professeurs.

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