Par Véronique Leblanc, journaliste au Conseil de l’Europe et militante de la Licra Bas-Rhin
La pandémie de Covid-19 est « l’une des rares crises depuis la seconde guerre mondiale, peut-être la seule » à avoir eu un « tel impact » sur les populations concernés par la Commission contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe (ECRI). « De la propagation de théories conspirationnistes antisémites sur l’origine de la maladie et de discours visant les personnes d’origine asiatique lors du déclenchement de la pandémie, au confinement et au ralentissement économique qui s’en sont suivis et qui ont touché le plus durement les groupes les plus marginalisés, la crise de la Covid-19 s’est traduite par une régression globale des droits humains en Europe ».
Ce constat terrible a été formulé par la présidente de l’ECRI, Maria Daniella Marouda, lors de la présentation du Rapport annuel 2020 de sa commission publié jeudi dernier, quelques jours avant la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale célébrée le 21 mars.
Roms, migrants et demandeurs d’asile, LGBTI
Cette crise sanitaire a particulièrement touché les populations les plus précaires, signale ce rapport en inscrivant au premier rang de ces groupes les Roms, souvent confinés dans des quartiers surpeuplés où l’accès aux services publics est limité et où le respect des gestes barrière est quasi impossible. Ils ont d’autant plus été touchés que les mesures d’enseignement à distance ont de facto exclu leurs enfants de l’école et les ont, dans certains pays européens, privés d’une aide sociale conditionnée à la scolarisation des plus jeunes.
La crise sanitaire a également affecté les migrants et demandeurs d’asile souvent exclus de soins de santé pour défaut de numéro de sécurité sociale, privés d’emplois informels en raison du ralentissement économique et particulièrement exposés à la contamination lorsqu’ils étaient – mal – hébergés dans le cadre d’emplois saisonniers.
Les appels aux permanences téléphoniques réservées aux LGBTI ont augmenté et parfois triplé (en particulier pendant les couvre-feux) relève par ailleurs le rapport de l’ECRI en dénonçant le rejet et la violence des familles LGBTI-phobes.
Les risques de l’Intelligence Artificielle
Parallèlement à l’impact négatif de la pandémie sur la lutte contre le racisme en 2020, le rapport relève d’autres faits marquants : le mouvement américain Black Lives Matter qui a trouvé un écho en Europe et « montré à quel point le profilage racial et les violences policières à caractère racistes continuaient à viser les groupes vulnérables, renforçant les inquiétudes face à ce qui est de plus qualifié de racisme institutionnel » ; les attentats terroristes commis par des extrémistes, au nom de la religion, en Autriche et en France (attaque d’une basilique à Nice et assassinat atroce de Samuel Paty) qui font craindre une montée du racisme antimusulman ; la permanence d’un antisémitisme attisé par les néo-nazis et les islamistes; la poussée d’une rhétorique homophobe et transphobe assortie, dans un pays comme la Pologne, d’une remise en cause législative des droits des personnes LGBTI.
Autre sujet de préoccupation, le recours à l’Intelligence Artificielle accentué par la lutte contre la pandémie. Cette digitalisation est potentiellement discriminante pour les populations qui n’y ont pas accès et comporte des risques en matière de collecte de données personnelles, souligne Maria Daniella Marouda. Nous continuerons à suivre ses impacts en lien avec le « Comité ad hoc sur l’Intelligence artificielle » mis en place par le Conseil de l’Europe.
« La pandémie de Covid-19 a accentué les discriminations envers ces groupes parce qu’ils étaient au préalable plus vulnérables », a souligné Maria Daniella Marouda. « Lorsqu’une sortie de la crise sanitaire se concrétisera il sera essentiel de ne pas se consacrer uniquement à la reprise économique mais de prendre également en compte les droits de l’homme et la lutte contre les discriminations. »
Véronique Leblanc
Lien vers le rapport : https://bit.ly/30VYc13
La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance est une instance unique de suivi spécialisée dans les questions de lutte contre le racisme, la discrimination (au motif de la « race »; de l’origine ethnique/nationale, de la couleur, de la nationalité, de la religion, de la langue, de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance en Europe. Elle élabore des rapports et formule des recommandations aux 47 Etats membres du Conseil de l’Europe.