Épidémie de COVID-19 : recrudescence des discriminations envers les personnes d’origine asiatique

Dès le mois de janvier 2020, nous avons observé une recrudescence du racisme anti-asiatiques dans le monde entier. La particularité du racisme anti-asiatique est sa banalisation, c’est autour de cette affirmation qu’est concentré le présent article. Les informations jointes y sont essentiellement journalistiques, puisqu’il n’y a pas à l’heure actuelle de données recueillies par les gouvernements.

Pour affirmer une recrudescence du racisme dirigé à l’encontre des populations asiatiques il faut pouvoir le prouver ; c’est la raison pour laquelle nous exposons en premier lieu quelques statistiques sur le sujet. Puis nous nous sommes penchés sur les formes que prend ce racisme :

  • Agressions verbales, physiques – dans la rue, les transports en commun, au travail.

  • Des conséquences en termes d’accès aux soins et aux services – accès restreint aux cabinets médicaux ou aux magasins, ou à la location d’appartement.

  • En matière d’accès à l’éducation.

  • Le racisme se fait également sentir dans la façon de raconter l’histoire, à travers le travail journalistique et la manière dont est traitée l’information.

  • Autre phénomène qui exacerbe ce “sentiment anti-asiatique” découle du traitement politique et de la façon dont certains politiques parlent du virus comme d’un “virus chinois”.

Si en Europe et en Occident nous parlons d’un racisme anti-asiatique, du côté de l’Asie le même constat peut être fait, mais ce ressentiment se dirige essentiellement à l’encontre de la population chinoise. Ces mouvements de haine ont donnés naissance à des outils de lutte sur les réseaux sociaux : témoignages, créations de hashtags ou encore de vidéos de sensibilisation. De leurs côté, les associations commencent à recueillir des données afin d’agir.

I1

A) Le racisme envers les personnes asiatiques

1. Quelques statistiques

Les études et enquêtes sur le sujet sont rares et limitées. Néanmoins une enquête a été menée au Pays-Bas sur un panel de trois cents personnes ayant des origines chinoises. Cette enquête de EenVandaag Opiniepanel, qui a été publiée en février 20201, montre que près de la moitié des personnes interrogées (49%) indiquent avoir souffert de racisme depuis le début de l’épidémie de COVID-19. Et dans 21% des cas, cela s’est produit chaque semaine, voire chaque jour.

De la même manière, une association d’étudiants et scientifiques chinois de Tübingen a mené une enquête auprès d’étudiants, chinois également2. Selon cette étude plus de la moitié ont été victime de discrimination au cours des derniers mois.

Mais alors, à quel genre de comportements ces populations doivent-elles faire face ? On assiste à des comportements tels que : le fait d’être évité dans la rue, sur les trottoirs, dans les transports publics, dans les magasins, puis les regards inappropriés, les refus de leur présence au restaurant ou encore au travail, etc. Certains de ces comportements, liés à la peur, bien qu’ils ne soient pas tolérables, peuvent aux yeux de certaines personnes interrogées être légitimes. Cependant une gradation entre les différentes manières dont ces comportements s’expriment existe, comme avec toute forme de discrimination.

2. De l’agression verbale…

Lors des deux études précédemment citées, certains participants ont donné des exemples de commentaires qu’ils ont pu recevoir. Pour certains, « les Chinois sont vraiment des hommes sales. Ils mangent de tout », d’autres n’hésitent pas à crier « attention chinois ! », à conseiller aux personnes d’origine asiatique de « porter un masque ». Au sein de son entreprise, le collègue d’un des participants a estimé bien d’affirmer qu’après tout : « vous mangez tout et n’importe quoi aussi, alors voila ce que vous obtenez ». Pour Zuonan Cao de l’Association des étudiants et scientifiques chinois de Tübingen, « le virus corona est une occasion de montrer ouvertement des ressentiments racistes », « dans le passé, ils étaient plutôt subliminaux ».

Autre événement, au Pays-Bas un DJ, Lex Gaarthuis s’est permis de publier une chanson discriminante à l’égard de la population chinoise, affirmant que le coronavirus est la faute de « ces chinois puants ». Il conseille de ne pas « mang[er] chinois, vous n’aurez rien à craindre ». Suite à la vague d’indignation qui a suivi, le DJ a présenté ses excuses et a admis avoir fait une « grosse erreur ». Cette chanson ne fut pas sans conséquences, en effet les paroles furent reprises pour être dirigées à l’encontre de la population asiatique, notamment l’insulte « stinkchinees », entendez par là « chinois puants ». Au sein des différents médias sont relatés des incidents comme en Estonie où une femme d’origine malaisienne s’est vu insulter en prenant le tramway. « Toi chinoise, dégage, tu nous ramènes le corona3» (traduction propre).

De l’autre côté de l’Atlantique, la communauté asiatique aux États-Unis n’est pas en reste. En effet, la pandémie a entraîné une vague d’agressions verbales, voire physiques. Le site « Stop AAPI4 Hate » a été mis en place par des ONG permettant de répertorier les différents témoignages. D’après le journal Le Monde, 1135 signalements furent enregistrés en deux semaines5.

3. … à l’agression physique

En début d’année en Pologne un groupe d’étudiants chinois a été agressé pour avoir, selon eux, « répandu l’épidémie6 ». C’est un exemple parmi d’autres d’actes dirigés à l’encontre de la population d’origine asiatique. En Italie, un serveur originaire des Philippines a aussi été agressé dans un bus et blessé au visage car considéré comme « un Chinois apportant le Coronavirus ».

Pour ce qui est de la France, en février dernier une jeune adolescente française d’origine vietnamienne a subi une agression qui a donné lieu à une ITT. Le même mois, un jeune homme sortant d‘une boite de nuit, toujours d’origine asiatique, a été roué de coups, son agresseur lui ordonnant de « rentrer dans son pays avec son coronavirus7». Des événements de la même nature ont eu lieu à divers endroits, notamment à Berlin8.

Aux Etats-Unis, le 14 mars, une famille asiatique a été victime d’une agression au couteau dans un supermarché de Midland au Texas9 .

4. Les conséquences en termes d’accès aux soins et aux services

En ce qui concerne l’accès aux soins, l’association allemande Adis de Tübingen, spécialisée dans la lutte contre les discriminations, indique que des personnes d’origine asiatique se sont vu refuser l’accès aux cabinets médicaux ou aux magasins. Selon l’association « la peur du virus corona, cependant, ne justifie jamais les attributions et exclusions racistes basées sur une origine attribuée à des caractéristiques externes ». Toujours en Allemagne, l’agence fédérale d’anti-discrimination a dit avoir reçu diverses plaintes : le refus d’un médecin pour/de traiter un patient d’origine chinoise, le refus d’un propriétaire de louer son appartement à un étudiant asiatique pour nulle autre raison que ses origines, et enfin un propriétaire d’épicerie qui a refusé l’entrée de sa boutique aux touristes chinois.

Du côté de l’Estonie, une clinique a tout bonnement suspendu les soins dentaires aux patients chinois10.

Un autre service a posé aussi problème, l’accès à l’éducation pour les personnes originaires d’Asie. Le conservatoire De Santa Cecilia de Rome a suspendu les cours pour les étudiants d’origine chinoise, coréenne et japonaise et cela jusqu’à ce qu’ils passent un examen médical11.

5. Et les médias dans tout ça ?

Le sensationnalisme oui, mais à quel prix ? Le danger ici est celui de pointer du doigt des boucs-émissaires et de leur faire porter seuls le poids et la responsabilité de la pandémie. Par exemple, Der Spiegel, grand hebdomadaire allemand, avait en février pour couverture : « Coronavirus. Made in China ». De la même manière, des journaux français, danois et irlandais ont publié des images similaires.

Pire encore, en janvier, un blogueur letton a déclaré dans une vidéo à propos d’une personne chinoise arrivée illégalement que ce dernier devrait être « liquidé, le pays entier devrait l’être […] ». Accusé d’incitation à la haine, il fut arrêté le jour même12.

Fin janvier 2020, le journal Le Courrier Picard a présenté ses excuses après la publication d’un titre de une où l’on pouvait lire « Alerte jaune» et d’un éditorial intitulé « Le péril jaune ? » pour traiter de l’actualité du Coronavirus. Les termes « jaune » et « péril jaune » font historiquement allusion à des clichés racistes ciblant la communauté asiatique. Ce stéréotype du « péril jaune », développé au XIXe siècle, avait pour but de prévenir le danger de voir les peuples d’Asie gouverner le monde. L’utilisation de ces termes, jugés obsolètes et racistes, a choqué sur les réseaux sociaux.

B) Racisme envers les chinois en Asie

A travers le monde c’est un racisme dirigé vers la communauté asiatique qui a pris de l’ampleur, mais en Asie ce ressentiment vise en majeure partie la population chinoise. A Hong Kong, la chaîne de restaurant Kwong Wing Catering a affirmé dans un post Facebook qu’elle ne servirait plus les clients mandarins et qu’elle se limiterait à servir les anglophones et cantonais par mesure de sécurité. Encore plus choquant que l’annonce en elle-même, la réaction à cette annonce sur la page Facebook : selon le journal the Lancet13, le post « a recueilli les troisièmes réactions et interactions les plus favorables depuis la création de la page Facebook en septembre 2019 ». A Hong Kong, le ressentiment à l’égard de la population chinoise n’est pas seulement le fruit de la pandémie et du retard dans l’intervention du gouvernement dans la gestion de cette crise, mais résulte également de la tension politique qui existe entre la Chine et Hong Kong, qualifiée de région administrative spéciale chinoise, et qui désire acquérir depuis longtemps son indépendance. La pandémie ne serait donc, en partie, qu’un prétexte pour pouvoir s’éloigner de l’emprise de l’État chinois.

C) Mobilisation anti-raciste

Le constat fait précédemment sur la recrudescence du racisme anti-asiatique en Europe peut être également fait dans d’autres endroits du monde comme aux États-Unis. En réponse à cela une contre-attaque nommée « la haine est un virus » a été lancée par les jeunes américains de la communauté asiatique via les réseaux sociaux. D’autant plus que la vague de haine aux États-Unis n’est pas tempérée par l’attitude de l’ancien président Donald Trump qui n’a eu de cesse que d’exacerber les tensions, notamment via l’utilisation de l’expression « virus chinois ». On note l’existence d’autres initiatives similaires, comme la campagne « I am not a virus » qui aurait débuté en France avec le #JeNeSuisPasUnVirus14, initiative suivie dans d’autres États dont l’Autriche, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne.

I2

Pour aller plus loin:

 

1 « ‘Stinkchinees!’ Dit is wat Chinese Nederlanders naar hun hoofd geslingerd krijgen sinds het uitbreken van het coronavirus », EenVandaag Opiniepanel, 13 février 2020, disponible sur : https://eenvandaag.avrotros.nl/panels/opiniepanel/alle-uitslagen/item/stinkchinees-dit-is-wat-chinesenederlands-naar-hun-hoofd-geslingerd-krijgen-sinds-het-uitbreken/

2 « Verein: Diskriminierung asiatischstämmiger Menschen nimmt zu », Welt, 5 mars 2020, disponible sur : https://www.welt.de/regionales/baden-wuerttemberg/article206348163/Verein-Diskriminierungasiatischstaemmiger-Menschen-nimmt-zu.html?wtrid=onsite.onsitesearch

3 « Tallinnas elav Malaisia neiu langes trammis koroonahirmu tõttu rassistlike rünnakute alla » par Lennart

JAAmer, Maaleht, 28 février 2020, disponible sur : https://maaleht.delfi.ee/uudised/tallinnas-elav-malaisia-neiulanges-trammis-koroonahirmu-tottu-rassistlike-runnakute-alla?id=89077351

4 « AAPI » = Américains d’origine asiatique et du Pacifique

5 « Coronavirus : aux Etats-Unis, les Asiatiques, victimes de discrimination, contre-attaquent » dans Le Monde (site web), jeudi 9 avril 2020 par Corine Lesnes, disponible à :

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/09/coronavirus-aux-etats-unis-victimes-dediscrimination-les-asiatiques-contre-attaquent_6036105_3210.html

6 « Atak na studentów z Chin! Wszystko przez koronawirusa », FAKT24, 10 mars 2020, disposnible sur : https://www.fakt.pl/wydarzenia/polska/trojmiasto/studenci-z-chin-zaatakowani-na-awf-w-gdansku-poszlo-owirusa/69pk7l6#slajd-1

7 « Coronavirus : ce qu’ont dit les services de renseignements à Macron », par Aziz Zemouri, Audrey Freynet et Marc Leplongeon, Le Point, le 28 février 2020, dispoible sur : https://www.lepoint.fr/societe/coronavirus-ce-quont-dit-les-services-de-renseignements-a-macron-28-02-2020-2364942_23.php#

8 « Chinesische Botschaft in Berlin bekalgt Rassismus », Der Tagesspiegel, 5 février 2020, disponible sur : https://www.tagesspiegel.de/berlin/wegen-coronavirus-chinesische-botschaft-in-berlin-beklagtrassismus/25508828.html

9 « Coronavirus : aux Etats-Unis, les Asiatiques, victimes de discrimination, contre-attaquent » dans Le Monde (site web), jeudi 9 avril 2020 par Corine Lesnes, disponible à : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/09/coronavirus-aux-etats-unis-victimes-dediscrimination-les-asiatiques-contre-attaquent_6036105_3210.html

10 « Liisa Pakosta: Hiinlasi me ei teeninda ja ukrainlane meie kooli ei tule », Eesti Päevaleht, 11 February 2020

11 « Coronavirus: la psicosi apre le porte al razzismo », dans Cronache di ordinario razzismo, 5 février 2020, disponible à : http://www.cronachediordinariorazzismo.org/coronavirus-la-psicosi-apre-le-porte-al-razzismo/

12 « Valsts policija par nacionālā un etniskā naida izraisīšanu aiztur vīrieti », State police (Valsts policija), 3 February 2020, disponible à : http://www.vp.gov.lv/?id=69&said=69&yrId=2020&relid=16828

13 « Anti-Chinese sentiment during the 2019-nCoV outbreak », 12 février 2020, disponible à :

https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30358-5/fulltext

14 BBC news, Coronavirus: French Asians hit back at racism with ‘I’m not a virus’, available at: https://www.bbc.com/

news/world-europe-51294305