Des jeunes militant.e.s de la Licra Bas-Rhin ont mené des recherches et rédigé des articles pour étudier l’impact de la crise sanitaire liée à la Covid-19 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations. Aujourd’hui nous commençons leur publication, avec un article sur les Etats-Unis, les inégalités sociales et la population afro-américaine à partir d’un texte de Houda Elmamouni.
Synthèse
Si on s’intéresse à la pandémie de COVID-19 aux Etats-Unis, on constate que les afro-américains sont bien plus touchés que le reste de la population américaine. Les données chiffrées publiées par l’Université Johns-Hopkins montrent en effet que la COVID-19 affecte de façon disproportionnée la population afro-américaine. Le but de cet article est de tenter d’expliciter ce phénomène. Les facteurs explicatifs de ces disparités sont en réalité à mettre en lien avec les inégalités sociales que subissent d’ores et déjà les afro-américains. Dès lors, il nous apparaît que l’épidémie de COVID-19 ne fait que confirmer et souligner un bilan malheureusement déjà dressé de nombreuses fois. Ne nous limitant pas à cet amer constat, nous avons entrepris de développer le détail des solutions envisageables selon les professionnels.
1. Un constat : une communauté plus touchée
« Historiquement, quand l’Amérique attrape un rhume, l’Amérique noire attrape une pneumonie » – Déclaration de Demetrius Young, commissaire d’Albany.
L’Université Johns-Hopkins a récemment publié une étude qui met en lumière la manière dont la COVID-19 affecte de façon disproportionnée la population afro-américaine. L’exemple le plus flagrant en est sans doute les résultats obtenus dans le comté de Milwaukee. Les afro-américains y représentent 26 % de la population et 73 % des morts suite à la COVID-19. A Chicago 67% des personnes décédées sont issues de la population afro-américaine alors même qu’ils ne représentent qu’un tiers de la population totale. De plus, dans cette ville les décès sont concentrés dans cinq quartiers du South Side. [1].
Aux Etats-Unis, contrairement à la France, les statistiques ethniques sont autorisées mais tous les États n’ont pas signalé le nombre de décès liés à la COVID-19 par ethnie. Afin d’y remédier, le 27 mars 2020, plusieurs démocrates (des membres du congrès et sénateurs), des avocats membres du Lawyers’ Committee for Civils Rights Under Law [2] (ci-après le comité d’avocats) et des médecins ont réclamé, au sein de différents courriers adressés au département de la santé, la collecte et la publication des données sur les disparités en matière de santé en fonction de l’ethnie [3]. L’idée est de pouvoir adapter la stratégie de santé publique en fonction des résultats, de garantir à ces populations plus touchées un accès aux tests et traitements. Toujours selon le comité d’avocat, l’administration Trump a fait preuve d’un « manque alarmant de transparence et de données » ce qui a empêché « les responsables de la santé publique de comprendre le plein impact de cette pandémie sur les communautés noires et les autres communautés de couleur ».
De manière plus globale, l’Université Johns-Hopkins précise[4] que l’analyse des données démographiques de recensement montre que les comtés majoritairement noirs ont un taux d’infection trois fois supérieur et un taux de décès six fois supérieur à celui des comtés où la population majoritaire est blanche. La conclusion est sans appel, la communauté noire développe de manière plus récurrente la COVID-19 et en meurt de façon disproportionnée par rapport à la communauté blanche.
2. Les raisons :
L’université Johns-Hopkins a identifié cinq facteurs de risque, sociaux ou économiques, augmentant la probabilité d’infection chez les individus afro-américains [5].
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Vivre dans des logements surpeuplés
Selon Sherita Hill Golden, vice-présidente et cheffe responsable de la diversité à l’Université Johns-Hopkins « les conditions de vie surpeuplées sont un défi difficile qui est le résultat de la ségrégation résidentielle raciale de longue date et des politiques de redlining [6] antérieures ». Ainsi, elle rappelle logiquement qu’il « est difficile pour dix personnes vivant dans un appartement de trois pièces de prendre une distance sociale appropriée ». Ces derniers résident souvent dans des zones pauvres où la densité de logement est élevée [7].
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Travailler dans des domaines essentiels
Tout individu travaillant dans des domaines tels que les services alimentaires, le secteur des transports et les soins de santé ne peut pas effectuer de télétravail. Ils sont en première ligne car en contact étroit avec la population.
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L’existence de maladies chroniques
Une étude [8] citée par les centres américains pour le Contrôle et la Prévention des Catastrophes montre qu’environ 90 % des personnes hospitalisées, car atteintes gravement de la COVID-19, souffraient d’au moins une affection médicale telle que le diabète, les maladies cardiaques, l’hypertension ou les maladies pulmonaires. Selon Sherita Golden, les personnes de couleur ont un accès limité aux aliments sains et sont donc plus susceptibles de contracter ces maladies. Ces taux plus élevés de diabète, de maladies cardiaques et de maladies pulmonaires chez les afro-américains sont bien documentés mais jamais une pandémie n’aura autant mis en lumière ces disparités.
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Le manque d’accès aux soins de santé par absence d’assurance ou par sous-assurance
Ces personnes sont dans l’impossibilité de gérer leurs problèmes de santé au quotidien, ils ne peuvent se rendre chez le médecin, ni obtenir les médicaments nécessaires. Identifier, suivre et traiter cette maladie chronique, réduit le risque de décès de la COVID-19. En effet, un patient atteint de diabète ou d’asthme mal traité est plus à risque. De plus, ces populations vivent le plus souvent dans des lieux où les établissements de santé sont inadéquats. Enfin, la discrimination et la marginalisation de ces populations les a rendues méfiantes à l’égard du système de santé, ainsi elles sont moins enclines à avoir recours à des soins quand il le faudrait.
Toujours selon Sherita Golden, des études ont prouvé que le stress a un effet physiologique sur la capacité du corps à se défendre contre la maladie. Elle met donc en avant des facteurs comme « l’inégalité des revenus, la discrimination, la violence et le racisme institutionnel » qui, selon elle, « contribuent au stress chronique chez les personnes de couleur qui peuvent épuiser l’immunité, ce qui les rendrait plus vulnérables aux maladies infectieuses ».
Il faut ajouter à tout ceci les facteurs économiques qui jouent un rôle important. Les travailleurs aux faibles revenus seront moins susceptibles de quitter leur travail pour rester en confinement .A noter que l’ensemble de ces facteurs se combinent souvent chez la population afro-américaine, ce qui ne fait qu’accroître les risques.
3. Les possibilités de solutions
Face aux résultats de ces différentes études, l’université Johns-Hopkins dresse une liste des mesures qui, selon elle, permettraient de lutter contre cette disparité.
Il faut distinguer, d’une part, les mesures telles que « l’établissement de politiques de logement équitable, l’amélioration des possibilités d’emploi et la prise d’autres mesures pour atténuer les inégalités économiques » qui profiteraient aux populations afro-américaines dans le cas d’un nouvel épisode d’urgence sanitaire, et d’autre part, les mesures qui peuvent être prises dès à présent touchant à la manière dont la population est informée des mesures de distanciation sociale. Selon Sherita Golden, la manière dont est donnée l’information peut faire la différence. L’utilisation des réseaux sociaux, la traduction des messages en plusieurs langues, la prise en compte du niveau d’alphabétisation et des différences culturelles sont autant de facteurs qui peuvent contribuer à effacer ces disparités.
Les disparités en matière de santé auprès des communautés noires sont un problème qu’on ne peut nier aux États-Unis, pour y remédier le pays a besoin d’un déclencheur. La COVID-19, au-delà d’être un révélateur de ces disparités, est en quelque sorte une opportunité pour les gouvernants d’agir pour pouvoir affronter les prochaines crises plus sereinement.
[1] « Chicago’s coronavirus disparity: black Chicagoans are dying at nearly six times the rate of white residents, data show. » par Reyes C, Husain N, Gutowski C, St Clair S, Pratt G, Chicago Tribune le 7 avril 2020. Disponible à l’adresse suivante :https://www.chicagotribune.com/coronavirus/ct-coronavirus-chicago-coronavirus-deaths-demographics-lightfoot-20200406-77nlylhiavgjzb2wa4ckivh7mu-story.html
[2] Ce comité est un organisme qui cible les inégalités dont sont vicitmes les afro-américains et d’autres minorités ethniques.
[3] Lettre d’un groupe de législateurs démocrates adressée au département de la santé et des services humains datant du 27 mars 2020, disponible à l’adresse suivante : https://www.warren.senate.gov/imo/media/doc/2020.03.27%20Letter%20to%20HHS%20re%20racial%20disparities%20in%20COVID%20response.pdf
Voir également la lettre du Lawyers’ committee for civils rights under law datant du 6 avril 2020, disponible à l’adresse suivante : https://lawyerscommittee.org/wp-content/uploads/2020/04/DHHS-Letter-COVID-19.pdf
[4] « The coronavirus is infecting and killing black Americans at an alarmingly high rate », The Washington Post, 7 avril 2020, par Reis Thebault, Andrew Ba Tran et Vanessa Williams. Disponible à l’adresse suivante : https://www.washingtonpost.com/nation/2020/04/07/coronavirus-is-infecting-killing-black-americans-an-alarmingly-high-rate-post-analysis-shows/?arc404=true
[5] « Coronavirus in African Americans and Other People of Color », University Johns-Hopkins, posté le 20 avril 2020 disponible à l’adresse suivante : https://www.hopkinsmedicine.org/health/conditions-and-diseases/coronavirus/covid19-racial-disparities
[6] Le redlining est une pratique discriminatoire consistant à refuser ou limiter les prêts aux populations situées dans des zones géographiques déterminées
[7] « COVID-19 and African Americans » par Clyde W. Yancy, 15 avril 2020, disponible à l’adresse suivante : https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2764789
[8] « Hospitalization Rates and Characteristics of Patients Hospitalized with Laboratory-Confirmed Coronavirus Disease 2019 » — COVID-NET, 14 States, March 1–30, 2020 https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6915e3.htm?s_cid=mm6915e3_w